06 juin 2007 – Institut Français d’Athènes
Création d’un mural graffiti pour les 100 ans de l’Institut Français d’Athènes
L’Institut Français d’Athènes fête ses 100 ans, il lui fallait donc retrouver des couleurs et prendre un peu le frais en réinventant le buon fresco ! Considérer les parois de son habitat comme un cahier ouvert est à l’origine de tout l’art de peindre et ce geste, depuis une vingtaine d’années, est redevenu l’un des gestes spontanés de l’homme avide de s’exprimer d’une manière immédiate, explosive et anonyme. Où que l’on aille dans le monde, des signatures d’hommes de passage, nocturnes et masqués, honorent en les déshonorant du même coup, les lieux les plus inattendus, les plus reculés, les plus inaccessibles de nos mobiliers urbains. Les villes d’occident, au grand désespoir des autorités municipales, sont outrageusement décorées de tags, sceaux de la modernité aux alphabets aussi indéchiffrables que chargés de mystère. Nos villes portent ainsi la marque au fer rouge du criminel jadis dénoncé par sa lettre écarlate. Est-ce vraiment le signe d’une condamnation ? Celle d’une civilisation honnie et rejetée, visée d’infamie ? Ne faut-il pas plutôt y voir le coup de griffe aimant, certes mordant, d’un jeu de mains avec l’autorité ?Tous les savants les plus raffinés, les amateurs de belle architecture et d’œuvres classiques jettent un œil dédaigneux, voire dégoûté, sur ces témoignages d’une irruption insolite, hirsute, inavouable, dans des rues qui, selon eux, devraient n’être qu’ordre et beauté … De New York à Paris, jusqu’à Plaka et Exarchia où les murs sont couverts de personnages aux visages étonnamment enflés, désireux semble-t-il de s’envoler pour échapper aux lois trop ordinaires de la vie, le tag magique et malfaiteur aura, qu’on le veuille ou non, « droit de cité » au sens propre du terme. On peut tenter d’éliminer ces lichens dont on ne sait pas jusqu’à quel point ils peuvent se révéler vénéneux, on peut encore tenter inexorablement de les effacer : la forme resurgit, l’inscription renaît d’elle même comme, littéralement, un « fait de société ». Des experts ont analysé le phénomène, des livres lui sont régulièrement consacrés, les critiques d’art ouvrent dorénavant leur réflexion à ce genre nouveau d’écriture automatique et de surréalité urbaine ouverte à tous. Des musées même s’y intéressent et libèrent leurs espaces à ces « gobelins des faubourgs, tissés sur la basse-lisse des trottoirs », comme aurait dit Raymond Hains. Il y a plus : la peinture reconnue comme telle s’inspire parfois de ces graffiti à l’insolent pouvoir de communication, et il arrive que des franchissements de frontière aient lieu entre les vigoureux « barbouilleurs nocturnes » et les peintres des galeries avant-gardistes. L’anonymat scandaleux est soudain sous le feu des projecteurs. Ainsi, du fait de la vitesse du monde qui met en liaison les plus anciens archaïsmes avec les inventions de l’avenir, l’Institut Français d’Athènes, admet désormais, non sans malice, que le grand mur qui le protège devienne la paroi ancestrale de notre plus ancien imaginaire, autorisant une fois encore la main de l’homme à peindre la fresque, et à y déposer avec une rapidité prodigieuse, à même le ciment frais, les signes, couleurs, lignes et formes d’une création plastique et picturale condamnée à la réussite parce que « irrécupérable » ! Les deux graffeurs qui ont taggé ce mur « à fresque » semblent avoir réappris les gestes premiers sur les premières matières. Ainsi, pour son centenaire, le vénérable bâtiment se trouve à la fois confirmé dans sa vocation à sauvegarder tout ce qui vient de l’antiquité des hommes tout en se retrouvant, antiquité ou pas, fort joyeusement rajeuni !