Art Sud

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Créateur au début des années 80 des Éditions de l’Eau, Albert Woda ouvre une porte aux livres d’artistes, permettant le dialogue de l’écriture avec la gravure, la photographie ou la peinture… et graveur il l’est plus que tout, avant tout.

Les ombres et les noires élégances de l’encre révèlent la lumière humide des gravures d’Albert Woda, homme d’une eau soutenue par les grilles à peine perceptibles du gravier de la terre et des rainures serrées de la taille douce. Tout l’art du graveur est bien en effet de frapper, de creuser, d’endolorir sa plaque, la caresser au burin, à la pointe sèche, instrument de torture ou d’amour, délices des entailles dans la matière pour la faire advenir, qui ? La lumière et ses faux remparts.

Albert Woda a mis entre sa main et son œuvre le paravent d’une plaque de cuivre. Voile plus que paravent. Voile est sa plaque qui laisse entrer la lumière et l’esprit, les pollens et les vents. L’artiste jette un voile pour fouetter la réalité, la faire bouger comme un libertin du dix-huitième siècle excite la nature avec méthode, avec une précision telle qu’elle confine à la préciosité. Puisqu’il faut frapper… Woda, ouvrier déférent, se penche et tout près de la pierre recueille sans doute ses derniers gémissements, sa plainte avant la trace. La beauté est ainsi faite qu’il faut la battre.

Quelques mirages, quelques houles rudoient le ciel pour la tendresse, le plaisir de voir la figure rougir ou s’assombrir un peu. La substance de velours mordoré des peintures de Woda semble formuler, sous la flamme d’une bougie, la mythologie sacrée du monde avec ses paysages, ses femmes et leurs corps mobiles. Qu’il s’agisse de peinture ou de gravure la volupté du regard ne s’éteint pas. Mais que veut transcrire cette main ? Sous quelle dictée frappe-t-elle les creux et les pleins ? Albert Woda surligne le relief d’un monde en écriture cursive où la lettre s’efface derrière l’encre, lait ombreux de la nuit, fertile et sombre comme le grand désir sur lequel les arbres, les hautes herbes, les ciels aux longs nuages, gerbes d’eau, prennent naissance d’estampe en estampe. L’univers s’écrit en langage de nuit, et l’artiste nous en offre la très exacte calligraphie : des traînées de lumière dans des sous-bois, des objets qui sont définis par leurs ombres plus que par leur être.

Cet habitant de Céret dans les Pyrénées orientales, Niçois à ses heures, ce méditerranéen par vocation, a des racines imprégnées de brouillards et de pluies. Les origines polonaises du peintre-graveur ne sont peut-être pas étrangères à cette mélancolie souveraine où baignent quelquefois ses créations. Fils de Rembrandt et de Ruisdael autant que de l’éclat de la Méditerranée grecque, Albert Woda est l’enfant du paradoxe. Cet homme est le pur produit de cette migration des signes qui fait de beaucoup d’artistes méditerranéens par adoption des sortes de naufragés amoureux de leur naufrage.

Pourquoi Albert Woda détient-il une telle science des couleurs de la nuit ? La profusion de toute cette suie n’est autre que la sueur d’un feu qui brûle sous sa main depuis bien longtemps. La juxtaposition des signes travaille la scène représentée jusqu’à son lieu limite d’évanescence et de transparence. La gravure multiplie les tonalités sombres comme en peinture on devine les états successifs de couleurs sous un fond apparemment blanc. Car la blancheur est une réserve infinie de climats chromatiques, où la noirceur a également sa part. Comme le lait sur la flamme, la noirceur est la blancheur à son point d’incandescence, sa note pure. Woda a obtenu cette note blanche en sa manière noire.