Ce que nous disent les tableaux

22 juin 2008

jpg_AssoulinemacaigneIl n’y pas que Fontaine-de-Vaucluse ! Et si d’aventure cet été vos pas devaient vous porter du côté d’Athènes, arrêtez-vous à l’Institut Français, hors du circuit habituel des touristes, vous ne le regretterez pas. Une exposition originale s’y tient depuis peu et jusqu’au 12 octobre sous le titre “Paris Peinture”, parce qu’elle réunit des parisiens d’adoption venus des quatre coins du monde. La commissaire Caroline Fourgeaud-Laville a eu l’idée d’y mettre en regard des écrivains ou des poètes et des peintres et de se faire leur agent de liaison. Vingt deux à côté de vingt deux. Un dialogue de signes sur les murs même puisque le texte et la toile se touchent. Tous invités à écrire sur/à propos/ autour d’une oeuvre en se gardant bien de la commenter, ils se sont piqués au jeu et voués à l’exercice avec une curiosité parfois mêlée d’inquiétude (ce qui fut mon cas à l’instant même d’écrire autour de La blessure cauchemar de Jean Rustin). Antonio Tabucchi parle de la voix d’Adami telle qu’il l’entend en regardant son Orlando furioso déracinant un arbre, Serge Fauchereau a écrit une fable sur une boîte de sardines françaises gonflée d’orgueil pour Le ramoneur à l’envers d’Eduardo Arroyo, Régis Debray a rendu hommage à “la faculté adamantine” de Leonardo Cremonini, Yves Bonnefoy a médité sur la représentation et la lumière à l’oeuvre chez Alexandre Hollan, Jean-Christophe Bailly a rendu encore plus énigmatique Enigme No3 de Jacques Monory, Colette Fellous a bien rendu la milonga du voyageur qui surgit d’une acrylique de Segui… Il s’en dégage comme un parfum d’amitié même si tous ne sont pas liés par des liens tels que Jean-Marie Drot le proclame fièrement à propos de Alekos Fassianos, ou que Marcel Moreau les évoque à propos de Vladimir Velickovic, son “ami considérable”. Mais on se prend à croire que tout écrivain voudrait adresser au spectateur de “son” peintre ce que le poète François Cheng a écrit “A celui qui contemple l’oeuvre de Zao-Wou-ki” : “Entends-tu ce Souffle qui vient de loin,/ plus loin que tout horizon,/ plus loin que toute mémoire ? Ne l’entends-tu pas résonner/ Pourtant, basse continue,/ au plus intime de toi ?…”. Pierre Alechinsky ayant choisi d’envoyer fort opportunément Athènes en lecture,1980, une encre et acrylique sur plan de ville, marouflé sur toile avec une prédelle (141×221cm), le poète libanais Salah Stétié a écrit un poème qui s’achève ainsi :

“(…) Car les images c’est la mort et il faut que vive la mort/ La mort n’est jamais la mort elle est sommeil de la vie/ Il faut que la mort traversée soit le fleuve d’une autre Afrique/ Afrique au-delà de l’Afrique pays plus loin que nos pays/ Un autre espace un autre temps/ Avec nos rêves nos objets nos trois dimensions habitables/ Car là-bas est ici dit-il car ici est dit-il là-bas/ Ouvrez un peu plus vos fenêtres vous verrez un très bel oiseau/ Un grand paysage inconnu un astre d’air des graffiti/ Il fallait y penser dit-il il fallait surtout en rêver/ Il fallait faire et puis défaire et puis refaire/ Et si les anges volent dit-il c’est qu’ils se prennent à la légère/ C’est quoi ? c’est qui ?/ C’est un poème et l’effort du temps dans l’espace/ C’est la montre d’Alechinsky”.

De Salah Stétié, Dominique Autié, écrivain, éditeur et blogueur mort le mois dernier des suites d’une longue maladie, disait joliment qu’il est “pontonnier entre Orient et Occident”. Cette exposition est de celles qui suscitent des rencontres entre eux d’abord, entre eux et nous ensuite, car on y sent ce que Michel Leiris appelait ”une présence” dans les textes qu’il consacra à Francis Bacon (Au verso des images, Fata Morgana, 1980). Elle ne surgit que lorsque celui qui lit le tableau a un regard aussi attentif que son écoute, le seul qui permette de déceler si une oeuvre vit, si elle existe. Seule cette présence permet à une oeuvre d’art de nous expliquer ce qui nous arrive mieux que nous ne saurions le faire.

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