2005 – MAHJ – Paris
photographies de Didier Ben Loulou
accompagnées d’entretiens réalisés par Caroline Fourgeaud-Laville

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L’exposition « Rencontres » est constituée de portraits photographiques accompagnés de propos lapidaires, souvent déconcertants, d’hommes et de femmes d’aujourd’hui, de tous âges, de toutes catégories sociales, appartenant à la communauté juive parisienne. Ce projet qui fut réalisé, au hasard des rencontres, en 2005, s’inscrit dans le parcours des collections permanentes du Musée d’Art et d’Histoire du Judaïsme, instaurant un dialogue inattendu, mais très enrichissant, avec le passé.

« Ce travail a d’abord été pour moi l’occasion d’une suite de rencontres. De Belleville à Saint-Germain des près, de Sarcelles à Créteil, jeunes et vieux, ashkénazes et séfarades, ces français résidant dans la région parisienne constituent une mosaïque contrastée, parfois surprenante dans sa diversité, de l’identité juive contemporaine. Que veut dire « être juif aujourd’hui en France » ? Je n’ai pas tenté de répondre à cette question mais d’être au plus près de ces visages croisés, ou de faire entendre, à travers les quelques mots que nous avons échangés, ou les conversations que nous avons eues, leurs voix si singulières. »

Annie Goldmann

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Être juive pour moi c’est faire partie d’une histoire. Que sont les valeurs fondamentales du judaïsme ? Le judaïsme est une éthique, une recherche de la justice, et j’ai trouvé que c’était en cohérence avec les grandes valeurs de la révolution française, celle des lumières. En tant que femme, juive, héritière des Lumières, je n’accepte pas le monde tel qu’il est, avec ses injustices, ses frustrations. Ce qui m’inquiète aujourd’hui c’est qu’on vit une sorte de déclin en France, au niveau des élites, un manque d’imagination. Mais ma petite-fille s’appelle Goldmann et si un jour on lui dit “Sale juive”, elle ne comprendra rien, elle ne saura pas réagir. Ça fait partie du déclin. Le deuxième prénom de ma petite-fille est Sarah, elle a huit ans. J’espère vivre assez longtemps pour lui transmettre quelque chose. Je suis femme avant d’être juive. Car c’est ce qu’on voit de moi en premier. Et si on m’attaque et si j’ai eu à lutter dans cette société c’est d’abord comme femme.

rencontres_003René Taïeb
Entre juifs et arabes on est ensemble, y a pas de problème, on fait l’apéritif avec eux, on tape le carton. L’antisémitisme, oui, il y en a surtout aux informations, à la radio, à la télévision.

 

 

 

 

Albert Dichy Je suis né en 52 dans le quartier juif de Beyrouth. J’ai été à l’école à l’Alliance puis chez les Pères rencontres_001jésuites. Je suis le produit d’une grande salade méditerranéenne. Le Liban était un pays où le caractère hétérogène laissait un espace de liberté pour les minorités. Les pays arabes ont un art de la vie dont on garde toujours la nostalgie, y compris en Israël. D’ailleurs c’est une des raisons pour lesquelles je vis aujourd’hui à Bastille, c’est le cœur et le recueil de plusieurs quartiers, ça rappelle plus Beyrouth que le Marais ! Je suis arrivé en France en 75 à cause de la guerre, et ce fut un immense bonheur, je me disais : Sartre ouvre sa fenêtre en même temps que toi, Malraux est vivant ! C’est d’ailleurs par Blanchot que je me suis réintéressé au judaïsme : avant ça me paraissait de vieilles choses fossilisées bonnes pour mes parents ! Moi j’ai appris l’hébreu sans que jamais aucun professeur ne pense à me dire que ça avait un sens et que je n’étais pas en train de prononcer des paroles de vaudou africain ou des formules cabalistiques ! C’est Blanchot qui, après-guerre, a pris la défense du judaïsme. C’était sa façon à lui de « réparer » par un travail de réflexion sur les auteurs juifs comme Jabès et Lévinas. J’ai commencé à voir que la pensée juive pouvait être vivante et forte. C’est cette génération qui a ramené la pensée juive dans la pensée générale.

J’ai fait un livre sur Jean Genet. Je l’avais rencontré en 72 à Beyrouth, j’étais alors militant dans différents partis. Un jour un ami m’a dit « il y a une réunion avec un écrivain français ». A cette époque je connaissais son nom mais je n’avais rien lu de lui, j’ai immédiatement acheté Les nègres et j’ai été ébloui par la langue. J’ai vu Genet arriver entre deux grands malabars palestiniens laissant leurs armes à l’entrée. On a pris un café après la conférence et il m’a dit « Mais alors, dites-moi, vous êtes chrétien ou musulman ? » « Je suis juif » « Vous êtes juif ? Mais alors on ne peut plus faire confiance à personne dans ce pays ! Qu’est-ce que vous faites là alors que vous avez un si beau pays en face avec des soldats ? ». Il était déconcerté, il ne pouvait pas considérer qu’un juif pouvait être avec les palestiniens. Il s’est mis à rire, évidemment. Son œuvre m’a appris une chose : à ne jamais séparer les exclusions les unes des autres, cela vaut pour le judaïsme. Je me défends de penser uniquement en tant que juif. J’ai une identité multiple mais pas fragmentée.

Louisette Kahane

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Je suis née en France, mes parents venaient de Pologne. J’ai vécu dans un milieu yiddish et communiste. Nous sommes restés à Paris jusqu’en juin 42 car on a dû porter l’étoile jaune. Je me souviens qu’on se retournait sur moi dans la rue, tout le monde me regardait, ça m’amusait. En fait mon père me l’avait fait mettre un jour avant que ce ne soit obligatoire, pour bien montrer qu’on n’avait pas à se cacher, qu’on devait même être fier. Ce fut une des grandes leçons de mon père, sans sermon, sans parole. Mes parents étaient communistes donc plus lucides que la moyenne des gens… Il y a beaucoup de gens à la recherche de leur identité juive, mais moi j’ai toujours eu la langue et la culture yiddish, c’est un judaïsme sans pratique, sans croyance.