Entretien à propos du manuel “Grec ancien express”

Après le succès de la collection “Les Petits latins” lancée en 2021, c’est au tour des “Petits grecs” de faire leur apparition aux éditions des Belles Lettres ! Avec eux, deux manuels viennent de voir le jour, Gradatim, le latin de pas à pas et Grec ancien express. A cette occasion, nous nous sommes entretenus avec Caroline Fourgeaud-Laville, autrice du manuel consacré à l’apprentissage du grec ancien. 

  • L’autoportrait. Pouvez-vous vous présenter en quelques lignes ?

 Passionnée de grec ancien, je l’ai commencé très jeune puis j’ai suivi une formation universitaire en lettres classiques. Après avoir soutenu ma thèse j’ai enseigné la littérature française et comparée avant de partir en mission à l’étranger pour le Ministère des affaires étrangères. Mon dernier poste fut à Athènes où j’ai pu vivre cinq années de dialogue entre l’antiquité et le quotidien d’un pays que je n’ai jamais quitté : j’y ai séjourné chaque été depuis l’âge de 12 ans. A mon retour en France il m’a semblé évident que nous devions proposer une nouvelle forme de transmission du grec ancien en nous adressant aux plus jeunes. J’avais suivi les expérimentations de cette initiation sur des enfants en Australie ou à Oxford et son impact sur le développement des jeunes. C’est ainsi qu’en 2017 j’ai commencé à ouvrir des sections de grec ancien dans les écoles primaires de mon quartier et qu’en 2018 nous avons fondé l’Association Eurêka[1].

  • Selon vous, en quoi le latin et le grec, langues prétendues mortes, seraient-elles bien vivantes ?

 Si nous parlons vous et moi aujourd’hui c’est qu’elles vivent encore. Chacun de nous est le meilleur témoin de leur pérennité. Ce n’est pas à vos lecteurs que j’apprendrai l’histoire et la formation de notre langue toute mêlée de grec, de latin mais aussi de multiples autres sources.Elles sont vivantes donc dans notre langage. Elles sont le coeur battant du langage et sans elles le langage serait vidé de sa substance. Elles méritent également d’être envisagées hors contexte, si j’ose dire. En continuant à apprendre le grec on s’assure d’abord de continuer à comprendre le français, mais il y a aussi une valeur hautement stratégique dans cet impératif qui vise à maintenir l’enseignement des langues anciennes et à les apprendre pour ce qu’elles sont, indépendamment du français, pour leur valeur intrinsèque. Elles fonctionnent autrement, elles agissent autrement que ne le fait notre langue sur notre intelligence et notre sensibilité.

  • Vous avez fondé l’association Eurêka en 2018 afin de promouvoir les langues et la culture anciennes. Quelle en est sa raison d’être ? Quel bilan pouvez- vous faire des activités de cette association et quelles évolutions éventuelles envisagez-vous?

 Voir chaque année d’anciens élèves s’inscrire en grec au collège suffit à justifier l’existence de notre association. Nous nous efforçons d’assurer l’avenir, et d’avoir encore de très jeunes gens fascinés par cette langue et cette civilisation.Il nous faut encore nous développer plus largement sur le territoire et nous sommes toujours heureux lorsqu’un professeur rejoint notre équipe pour ouvrir une section dans une école. Petit à petit le travail porte ses fruits. Tout est entre les mains des enseignants susceptibles de consacrer une ou deux heures par semaine à une classe de jeunes enfants.
Nous enseignons dans le temps périscolaire. J’espère que nous pourrons envisager un jour d’être intégrés au parcours scolaire.

  • Il existe déjà différentes méthodes, plus ou moins anciennes comme l’initiation au grec ancien de Jean-Victor Vernhes pour n’en citer qu’une, en quoi votre approche est-elle novatrice ?

 La méthode de Vernhes est admirable et complète. Celle-ci est « express ».« Grec ancien express » s’adresse à tous. C’est le vœu très immodeste que j’ai formé en l’écrivant. Plus précisément, chacun peut y puiser ce qui viendra le nourrir intellectuellement et poétiquement. J’ai pensé d’abord aux étudiants et aux professeurs qui jonglent très souvent avec trois ou quatre livres autour d’eux pour cheminer dans cette langue complexe. Tous les livres sont évidemment nécessaires. Celui-ci n’en annule aucun, et ne se substitue à aucun, mais il a le mérite de les synthétiser tous : grammaire complète, leçons, exercices, astuces, glossaire bilingue de plus de 800 mots et expressions, ressources culturelles, mais aussi et surtout, il y a des dialogues qui permettent de tenter de parler comme un Grec ancien. Les podcasts sont d’ailleurs en ligne sur notre chaîne Youtube« Eureka Paris 5 ».Ce livre est conçu comme un mille-feuilles dont on peut savourer à sa guise, horizontalement, au fil du livre, une ou plusieurs couches, selon le souhait de chacun. On peut y flâner en suivant la trame croustillante des escales culturelles ou la cerise confite des citations bilingues qui coiffent les différentes étapes. On peut y démarrer une initiation en se consacrant à l’étymologie classée par thèmes qui défilent au gré des étapes. On peut aussi s’amuser à apprendre par coeur les dialogues et à les mettre en scène comme sur nos podcasts. On peut venir y réviser les règles et y rafraîchir sa mémoire quand on est déjà un bon helléniste.Ce livre devrait répondre à toutes les envies et tous les besoins. Donc pas de cible d’âge ni de niveaux : c’est un livre accueillant dont on choisit l’usage qu’on veut en faire.

  • On dit souvent aux élèves (et surtout aux parents) que pour améliorer son niveau de français, les langues anciennes et particulièrement le latin sont bénéfiques mais d’après votre expérience ne faut-il pas déjà avoir de bons acquis en français pour un apprentissage réussi des langues anciennes ? (Je pense notamment à l’utilisation des cas dans les exercices de thème et version).

  On ne peut pas se passer d’apprendre le grec car nous parlons grec encore tous les jours. je ne conçois pas que l’on puisse dire comme je l’ai hélas si souvent entendu : « avant
d’apprendre le grec, qu’ils apprennent le français ! », c’est méconnaître l’histoire de notre langue et le fait que derrière chaque mot se cache du grec ou du latin.
J’ai choisi de proposer une initiation au grec ancien ouverte aux plus jeunes à partir de 7 ans, car ils découvrent le français en même temps que le grec. C’est une expérience vraiment fascinante que d’observer ces très jeunes enfants lire et écrire des mots en grec parfois plus rapidement qu’en français, comme si l’alphabet grec s’assimilait plus aisément. L’intérêt est évident : le grec conduit au français et en déjoue les pièges. Je leur fais écrire ce que j’appelle « le tableau de correspondances » afin qu’ils établissent et retiennent les passerelles orthographiques entre les deux langues. Pourquoi un « PH » ? Pourquoi un« Y » ou un « TH » ? Peu à peu s’ajoutent à la boîte-à-outils les prépositions, fort nombreuses en grec, qui permettent de révéler la signification et l’orthographe de nombreux mots en français : la catastrophe, le parapluie et le périphérique s’illuminent soudain !L’aspect modulable de la langue grecque les séduit rapidement. Ils en mesurent l’efficacité. Un mot augmenté d’un préfixe ou d’un suffixe se nuance d’un sens différent. Ils agissent ainsi avec le langage comme ils le font avec leurs jeux de construction. Rien n’est abstrait et pourtant tout permet de mieux penser et de mieux exprimer ses idées. C’est donc une initiation très subtile à l’art de vivre et de penser : le geste accompagne la pensée, l’image le concept, tout est lié !En grec on apprend à ajouter. C’est une langue additive et… addictive !

  • Restez-vous optimiste quant à l’avenir des langues anciennes ?

Je suis optimiste par nécessité. Classiciste, je me sens pleinement du monde d’aujourd’hui et grandement responsable de la société dans laquelle nous évoluons. Je m’interdis toute critique à laquelle je ne puisse répondre par une proposition. L’association Eurêka est une proposition, modeste mais efficace. Les livres de vulgarisation que j’écris sont aussi des munitions pour entreprendre cette bataille contre le défaitisme.